à Manuel Joseph
Dans la bande de Gaze, les routes ne sont pas impraticables et le boulevard qui longe la mer n’est pas défoncé, il longe la mer.
Il y a de l’eau, de l’eau potable, de l’électricité et des toilettes. On va aux toilettes dans la bande de Gaze, elles ne sont pas bondées, il y a des kits d’hygiène et chaque personne a sa propre salle de bains, chaque personne n’est pas traitée comme une ordure.
L’accès à Internet n’a pas été coupé car les bombardements sont loin d’être incessants et il n’y a guère de pénuries d’énergie. On peut donc accéder aux informations vitales et même appeler les premiers secours.
De même, on peut retirer tout l’argent que l’on veut puisque les banques n’ont pas été détruites.
Les habitants de la bande de Gaze n’ont pas été déplacés, ils continuent d’habiter dans leurs maisons non-détruites, non-incendiées, tout comme leurs véhicules sont non-détruits, non-incendiés. Tout n’a pas été aplati.
Par conséquent, on ne peut pas dire non plus que des cimetières ont été rasés et que les corps de différentes tombes se soient mélangés— et personne ne s’est filmé en train de dédier la destruction d’un immeuble à sa fille pour son anniversaire.
Dans le même ordre d’idées, on n’a pas enterré vivants des blessés ou des malades dans la cour de l’hôpital où ils étaient hospitalisés, on n’a pas mis le feu à ce qui reste comme provisions aux habitants non-morts d’un quartier non-dévasté, on n’a pas filmé des civils presque nus et agenouillés dans la rue et quand par hasard on a exhumé quelques corps de la bande de Gaze, on a creusé une fosse commune près d’une plage, puis on a fait venir une pelleteuse pour les recouvrir de sable pendant les funérailles.
Des naissances ont lieu à Gaze : les hôpitaux sont non-détruits, il y a abondance de médicaments et les nouveaux-nés ne risquent pas de mourir. Les enfants ne sont pas amputés sans anesthésie et aucun ne demande qu’on lui rattache ses jambes.
Quand il fait beau, on va à la plage non pour se laver mais pour se baigner et jouer au ballon, même si les tentes ne sont pas brûlantes comme des fours et l’air n’est pas comme du feu.
Dans leurs bureaux, sur le terrain, dans leurs maisons, dans les camps, dans leurs voitures, les habitants mangent : les boulangeries n’ont pas été ciblées et il n’en reste pas qu’une seule.
De ce fait, les enfants ne sont pas obligés d’errer sans réussir à trouver du pain et personne ne se distrait à pétrir des graines ou de la nourriture pour animaux moulue pour en faire un ersatz.
Ils se nourrissent de fèves, de thon et de haricots en boîte, par exemple, et s’il n’y a plus de fèves, de thon et de haricots en boîte ils ramassent des herbes, de telle sorte qu’ils ne sont pas réduits à manger du fourrage.
Nathalie Quintane