01/09/2022

le mat itinérant


ne te perds pas en cherchant le monde

ne perds pas dieu en te cherchant

ne perds pas le monde en cherchant dieu

                       valentin tomberg


(...) Nombreuses sont les traditions spirituelles qui connaissent le cheminement menant de l'obscurité à la lumière. Ainsi, le philosophe Takamaro Shigaraki écrit au sujet de l'école bouddhiste jôdo shinshû: "Si on est incapable de reconnaître à quel point l'enfer et la propre existence sont intimement liés, on ne peut pas arriver à la Terre Pure. Si on ne voit pas l'enfer dans les abîmes de son propre coeur, on s'y précipite soi-même". Les églises catholique et orthodoxe enseignent l'existence d'un chemin de purification (via purgativa). C.G. Jung parle de la "rencontre avec l'ombre", tandis que R. Steiner connaît la confrontation avec le "gardien du seuil". Ce n'est que dans l'obscurité que l'on voit véritablement la lumière. Toute personne qui ne se contente pas d'une spiritualité purement livresque mais se met en marche sur la route nocturne peut-être amenée par l'éclat de l'étoile qui la guide a retrouver l'origine commune de la vie individuelle et du monde, du microcosme et du macrocosme.

Cette origine de la vie spirituelle, représentée dans l'arcane 19 par le symbole du soleil nous donne l'expérience immédiate de l'unité et de l'interdépendance de toute chose. "Le sujet puise à la source commune de soi-même et de l'objet". Pour Tomberg, c'est précisément ce lieu où se trouve le vrais bonheur: dans la vie éclairée par le soleil, l'homme voit toute chose dans la lumière divine, et il agit en conséquence. La progression vers ce lieu ensoleillé, progression qui mène à travers un désert aride, dépourvu de certitudes et de preuves, trouve son support dans les trois voeux monastiques traditionnels, la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. Leur exercice est la condition nécessaire pur accéder à la contemplation; il confère joie et consolation, fait croître le courage, l'espoir, l'amour et la foi.

Néanmoins, la manière dont l'auteur entend ces trois voeux est tellement intériorisée, que si, d'un côté, elle laisse une large marge de manoeuvre par rapport à leur interpretation monastique traditionnelle, elle oriente pourtant infailliblement la conscience vers l'origine intérieure de toute impureté. Selon Tomberg, l'obéissance correspond au "silence des désirs, des émotions et de l'imagination personnels en face de la conscience et de la raison". La pauvreté correspond au "vide intérieur" engendré par ce silence, vide qui met l'âme en état de "recevoir la révélation de la parole, de la vie et de la lumière à partir d'en haut". La chasteté finalement, devant cet arrière-fond, ne se comprend pas en premier lieu comme la pratique de la continence: "Le voeu de chasteté signifie la mise en oeuvre de la résolution de vivre selon la loi solaire, sans cupidité et sans indifférence. Car la vertu est ennuyeuse et le vice est dégoûtant. Mais ce qui n'est ni ennuyeux ni dégoûtant, c'est ce qui vient du fond du coeur. Le fond du coeur c'est l'amour. Le coeur ne vit que lorsqu'il aime. Il est alors pareil au soleil. Et la chasteté est l'état de l'être humain où le coeur, devenu solaire, est le centre de gravité".

Ainsi, les symboles choisis par Tomberg accordent à celui qui les approfondit dans la méditation, des marges de manoeuvre intérieures. Ils ne jugent pas, ils ne contraignent pas, ils n'exigent rien, mais ils éclairent ce qui est obscur (ou obscurcissent ce qui est clair). Malgré la liberté de mouvement qu'ils rendent possible, ils ne sont jamais sans orientation. Dans la mesure où ils prennent en compte le mouvement de la vie, ils peuvent être des ponts vers l'expérience intime de la réalité de l'esprit (que Tomberg, lui-même, considère comme étant proprement l'essence de l'ésotérisme). Dans la mesure où ils prennent en compte le désir humain d'être en relation, ils peuvent être des ponts vers l'expérience de la réalité de l'amour humain et de l'amour divin. Ne contraignant à rien, les symboles peuvent montrer à ceux qui en ont la susceptibilité le bout extrême de ce fil qui les relie, à travers les mandalas et les labyrinthes de leur monde intérieur, au centre même da la vie, à l'intégrité humaine.

Il faut néanmoins prendre au sérieux la lame du "mat errant" et se mettre en route. (...)

Quelle que soit la direction du chemin, qu'il mêne dans la broussaille ou continue au grand jour, Valentin Tomberg ne vise pas à atteindre un but spectaculaire par les contemplations que nous présentons ici: "On ne peut rien attendre - on ne peut arriver nulle part: on ne peut que devenir, devenir purifié par le feu, croître et mûrir". De même, au sujet du mat itinérant il écrit: "Le mat est celui qui obéit au ciel, car tout est magie: celui qui cultive son jardin peut réaliser une oeuvre magique supérieure à celui qui invoque les esprits des sept planètes. Il peut, par conséquent, suffire de marcher, pour que le ciel soit activement présent".

Pour se rendre compte qu'il suffit de marcher, parce qu'on ne trouve le sur-réel que dans la réalité qui nous entoure, il faut emprunter un long chemin, qui nous change intérieurement même si, extérieurement, il nous ramène au point de départ: on fait, ce qu'on fait, et on est, ce qu'on est - ou, pour reprendre la célèbre formule de Joseph Beuys: "Le mystère se produit a la gare centrale".


Friedericke Migneco et Volker Zotz

de l'introduction à:

"LE MAT ITINÉRANT - L'amour et ses symboles / Une méditation chrétienne sur le tarot" 

Valentin Tomberg

(ed. Kairos)

(photo: "The Fool" - Kahn & Selesnick / 2017)